À la dérive, perdues dans les roseaux, deux fillettes en pleurs juraient de ne plus jamais naviguer. Vingt ans plus tard, elles sont devenues monitrices de voile. Et Ty Manouk était né.
Comment un stage de voile traumatisant a semé les graines d’un projet d’éducation sensible et engagé.
article mis à jour le 12/07/2025. Temps de lecture estimé : 4 min
1. UN PREMIER CONTACT BRUTAL AVEC LA VOILE
J’avais sept ans. C’était l’été, et mes parents m’avaient inscrite à mon premier stage de voile. Sans eux. J’étais avec Eva, ma meilleure amie. On avait revêtu nos combinaisons, nos gilets de sauvetage trop grands, et une boule dans le ventre plus grande encore.
Le moniteur était rude. Aucune attention, aucun sourire, aucune écoute. Il aboyait plus qu’il ne parlait. Ce jour-là, le vent soufflait fort, l’orage grondait à l’autre bout du lac. Nous avions peur. Vraiment peur.
À peine parties de la cale, nous nous sommes retrouvées coincées dans les roseaux, sans comprendre ce qu’on faisait là. On pleurait, on suppliait nos mères sur le ponton d’en face de venir nous chercher. Plus jamais de bateau ! C’était notre promesse solennelle. Gravée entre les larmes, nos hurlements et le ciel qui grondait.
2. CE QUE CE MOMENT A PLANTÉ COMME UNE GRAINE
On aurait pu en rester là. On aurait pu laisser ce souvenir devenir une cicatrice. Mais quelque chose est resté. Une forme de révolte douce. Un ça ne devrait pas se passer comme ça.
Je n’ai pas oublié la peur. Mais je n’ai pas oublié non plus ce que j’aurais aimé recevoir : une main tendue, un regard bienveillant, un mot rassurant. On ne devient pas monitrice par hasard. Je crois que ce jour-là, sans le savoir, j’ai décidé que si un jour j’emmenais des enfants sur l’eau, je le ferais autrement.
Je n’ai jamais voulu « former des champions ». J’ai toujours voulu rassurer, accompagner, faire aimer. Offrir une expérience fondatrice, joyeuse, respectueuse de chacun. Tout l’inverse de ce que j’ai vécu.
3. D’UN CARNET GRIFFONÉ À UN RÊVE ÉVEILLÉ
Des années plus tard, sur le même ponton, j’ai commencé à écrire dans un carnet. Des idées, des envies, des frustrations aussi. L’envie d’une école pas comme les autres. Mobile. Libre. Écoresponsable. Reliée à la mer et aux enfants.
C’est comme ça qu’est né Ty Manouk : à la croisée d’un vieux traumatisme, d’une véritable passion, d’une quête de sens à l’école, de convictions profondes et d’un besoin d’agir. Je voulais une école qui respecte le rythme de chacun. Qui donne confiance. Qui fasse de la voile un terrain de pédagogie, pas de performance.
Skol Ty Manouk, c’est cette école-là. Alternative, embarquée, sensible. C’est une manière d’enseigner autrement. D’écouter plus. D’adapter chaque moment. De faire du bateau un outil de confiance en soi. De reliance au vivant. D’apprentissage de la coopération.
4. AUJOURD’HUI, TRANSMETTRE AUTREMENT
Aujourd’hui, je suis monitrice de voile. Eva aussi. On a tenu notre promesse d’enfance… mais à l’envers.
Avec chaque enfant, je revois un peu celle que j’étais. Quand je dis : Si je t’emmène sur l’eau, c’est que je sais que tu en es capable, je ne le dis pas pour motiver. Je le pense profondément. Je n’ai jamais pour but de mettre un·e enfant en difficulté, encore moins de le ou la dégoûter.
Mon rôle, c’est d’ouvrir un chemin. De faire en sorte que ce chemin soit doux, exigeant parfois, mais toujours juste. Que l’enfant puisse s’y sentir accueilli, respecté, écouté.
Un jour, pendant une course, un petit que j’entraînais a dessalé. Il était bon dernier, loin derrière les autres. Je suis venue à sa hauteur, je lui ai dit tant bien que mal qu’il fallait continuer, que le plus important était de finir, pour lui. Il pleurait fort, pas vraiment convaincu… mais il est reparti.
À l’arrivée, il n’était pas dernier. Il avait dépassé deux autres concurrents. Quand il m’a rejoint, les yeux brillants, il s’est écrié :
Anouk ! C’était la plus belle manche de ma vie !
Je me suis dépassé pour mieux naviguer que les autres et je n’ai pas fini dernier !
Le bonheur sur son visage, c’était indescriptible. Pour moi, c’était l’essence même de ce que je veux transmettre. Ce dépassement-là. Cette fierté-là.
Quand je lis les petits mots qu’ils me laissent en fin de stage, quand ils m’offrent leurs dessins de la semaine, je me dis que le projet tient debout. Qu’il est déjà vivant.
CE JOUR-LÀ, ON VOULAIT FUIR LES BATEAUX
Aujourd’hui, on y accueille des enfants.
Avec tout l’amour, la patience et l’attention qu’on aurait aimé recevoir.
C’est aussi ça, Ty Manouk.
école alternative de la mer
Anecdotes et petits trésors de bords
Tu fais comment pour savoir qu’on a peur sans qu’on le dise ?
J’ai compris que j’ai le droit de ne pas réussir du premier coup.
J’ai jamais eu aussi peur… mais j’ai jamais été aussi fier de moi.
Ces mots-là, ce sont mes boussoles.
Ils me rappellent pourquoi je fais ce que je fais.
Et pourquoi Ty Manouk n’est pas un simple projet. C’est une promesse tenue.